L' habitation de Québec :
une page d'archéologie historique

par Françoise Niellon


L' habitation de 1613 à 1632 : une nouvelle habitation, bientôt détruite

Champlain ne relève plus de ceux qui exploitent la traite en Nouvelle-France et se sont engagés à y développer un établissement permanent. Cependant, ces derniers financent tout, y compris ses appointements. L'indépendance de Champlain à leur égard est donc toute à fait relative.

En 1628, la France et l'Angleterre sont en guerre. David Kirke, ayant reçu une commission du roi de Grande-Bretagne, Charles 1er, bloque dans le Saint-Laurent la flotte des Cent-Associés et Québec n'est pas ravitaillé. En juillet 1629, ayant épuisé toutes ses ressources, Champlain se voit forcé de rendre l'habitation et le fort aux frères Kirke. Ils y resteront trois ans. Pendant ce temps, l'habitation prend feu; en 1632, elle n'est plus qu'une ruine.


Les propos de Champlain
et les témoignages contemporains

Dès 1614, des travaux sont certainement entrepris à l'habitation de Québec. Champlain note en 1616 :
« nous fismes bastir, fortifier et accoistre nostre-ditte habitation du tiers, pour le moins, par ce qu'elle n'estoit pas suffisamment logeable, [...] et fismes le tout bien bastir de chaux, et sable, y en ayant trouvé de très bonne ». On construisit donc en pierre, avec mortier de chaux et de sable.

Hors de l'habitation, mais sur le même replat défriché, a été bâti un petit logis-chapelle pour les Récollets dès leur arrivée en 1615, puis, en 1619, on y a construit une forge-boulangerie, car celle-ci ne pouvait plus être « en l'enclos des logements ». Malgré tout, Champlain constate en 1620 que l'habitation est dans un état désastreux : un des corps de logis est écroulé et, « le magasin s'en alloit tomber ». Or, il s'avère que le magasin est ce bâtiment en pierre dont il parlait quatre ans plus tôt, mais qui n'est toujours pas achevé. Les charpentiers ne le termineront que l'année suivante.

images
Le projet de 1623, une représentation plausible


Sans cesse réparée, malgré sa cour récemment pavée et son magasin enfin complété, l'habitation est jugée caduque en 1623 par son propriétaire de l'époque, Guillaume de Caën. Il décide donc « d'en faire une nouvelle [...] abattant tout le vieux, fors le magazin ». Champlain projette alors de faire bâtir un corps de logis de 18 toises de long, avec deux ailes en retour de 10 toises et une petite tour « aux quatre coings du logement ». La place du magasin dans cet ensemble n'est pas précisée, si ce n'est que la nouvelle construction doit être « en süitte d'iceluy ». Champlain prévoit « un ravelin devant l'habitation, commandant sur la rivière, entouré le tout de fossés et pont-levis ».

Cruche de Bouffioux
Objet détérioré par le feu
Photo : Ministère de la Culture et des Communications du Québec
La construction commence le 1er mai 1624. Lorsque Champlain décide à la mi-août de retourner en France, il paraît satisfait des travaux. Vingt-six toises de murailles d’une hauteur de 14 pieds sont faites, et il ne reste plus qu'à les monter de 7 à 8 pieds.

De retour à Québec en juillet 1626, Champlain constate : « aprés avoir visité l'habitation et ce qui s'estoit fait du depuis mon depart pour les logements, je ne le trouvay si advancé comme je m'estois promis ». Il donne alors « ordre à faire couvrir la moitié de l'habitation que j'avois fait commencer premier que partir, et quelques autres commoditez qui estoient necessaires ».
images
Goulot de bouteille carrée
Objet détérioré par le feu
Photo : Ministère de la Culture et des Communications du Québec

Outre ces travaux d'urgence, il fait agrandir le petit fort sommairement bâti quelques années plus tôt sur « la montagne » (le cap Diamant). Il fait aussi construire au cap Tourmente la ferme qui devra assurer à l'avenir la subsistance des résidents de l'habitation.

L'été 1628, apprenant la mise à sac de cette ferme par les hommes des Kirke, Champlain fait aussitôt
« employer tout le monde à faire quelque retranchement au tour de l'habitation, au fort des barricades sur les remparts qui n'estoient parachevez [...] toutes ces choses se faisant en diligence ». Chacun est mis sur le pied de guerre, mais en vain; ni cette année-là ni la suivante la bataille n'aura lieu.

Petit pot à conserve
Objet détérioré par le feu
Photo : Ministère de la Culture et des Communications du Québec

  Les Kirke résideront au fort, dont ils entretiennent et améliorent les défenses. L'habitation ne doit leur servir que de magasin, mais, on ne sait quand ni comment, le feu y prit. De retour, les Français constatent les dégâts. Selon Emery de Caën, l'habitation est entièrement brûlée et démolie. Les Jésuites notent : « [...] pauvre habitation en laquelle on ne void plus que des murailles de pierres toute bouleversées » (Note).

images
Amphore asiatique
Objet détérioré par le feu
Photo : Ministère de la Culture et des Communications du Québec

Et Champlain écrit :
« L'habitation estoit en si pauvre estat, qu'il n'y avoit pas presque de lieu pour mettre nos farines et marchandises à couvert qu'avec peine et difficulté, n'y ayant que la cave et un petit galtas dessus, fait en appentis, et la cabanne des scieurs d'ais, la maison de pierre toute ruinée, n'y restant que partie des murailles[...] » (Note).



La recherche
sur le terrain

Les fouilles ont permis de clarifier quelque peu et compléter parfois les propos de Champlain quant au remplacement progressif des bâtiments de 1608. L'occupation des lieux à cette époque a été documentée par les objets recueillis sur les planchers du bâtiment construit en 1624, dans la cour intérieure de l'habitation et à l'extérieur du côté nord. La destruction par le feu et l'écroulement des murailles durant l'occupation anglaise ont été identifiés par la calcination des planchers et des objets qui y avaient été déposés.

Les vestiges retrouvés sur le terrain, soit un corps de logis principal avec deux ailes en retour, correspondent globalement au projet de 1623. L'aile sud est constituée par le magasin en pierre commencé en 1614 et achevé en 1621. En 1624, le corps principal a été construit à angle droit avec le magasin, dont il incorpore la partie ouest. Cependant, il ne semble pas que le bâtiment qui devait former l'aile nord ait été édifié à cette époque. Tels que retrouvés sur le terrain, cette aile et le corps central n'ont aucun lien structural et leurs murs du côté nord ne sont pas vraiment alignés.

images
Fig. 8 - Les vestiges de l'angle nord-ouest du corps principal
Vue vers l'ouest

Photo : Archives nationales du Québec à Québec, 764-160


Au lieu des 18 toises prévues en 1623, le corps central n'en a que 16, soit 4 m de moins. Si l'on tient compte de l'économie représentée par l'incorporation du magasin, il est vrai que les 26 toises édifiées en 1624 suffisaient à délimiter le nouveau bâtiment. Mais c'est sans compter les tourelles, sans doute ajoutées un peu plus tard. Cette façon de procéder a-t-elle exigé l'addition des deux contreforts intérieurs retrouvés près de la tourelle nord-ouest (fig. 8)?

Les murs élevés en 1624 sont en schiste noir, cette pierre locale dite « pierre du Cap ». Leur largeur est de deux pieds environ (65 cm) et la maçonnerie a été retrouvée à certains endroits sur 3 m d'élévation environ (fig. 9). Les planchers dans les parties fouillées sont en pin blanc. Quant à la toiture, Champlain avait fait scier 1800 planches prévues à cet usage avant son départ en 1624, et en 1626 il n'est pas question d'autre matériau de couverture. Étant donné la forme des tourelles, leur toiture était probablement en bardeau de bois. Néanmoins, les fragments de tuiles plates retrouvés ici et là attestent l'utilisation de ce matériau pour couvrir à cette époque au moins une partie des bâtiments.

images
Fig. 9 - Les vestiges de l'angle nord-ouest du corps principal
Vue vers le nord

Photo : Ministère de la Culture et des Communications du Québec,
1976-R12:19



Les défenses construites en 1608, au moins au nord, ont dû être alors supprimées par le bâti de la deuxième habitation, qui les absorbe. Les traces de fossé retrouvées sous la place Royale pourraient témoigner de la construction d'une nouvelle ligne de ce côté-là, mais il est probable que celle-ci n'eut lieu qu'en 1628, sous la menace du danger.


Suite



Bâtir
Retour


    Mise à jour : 1 September 2009