L' habitation de Québec :
une page d'archéologie historique

par Françoise Niellon


Le magasin :
une ère nouvelle (1633-1688)


Champlain revient à Québec en 1633. Il réside au fort Saint-Louis, qui devient le siège de l'administration coloniale. Au pied du cap, l'ancienne habitation, alors transformée en magasin, demeure le centre de l'activité commerciale. Lors de la mort de Champlain, le 25 décembre 1635, Québec compte environ 300 habitants. La colonie laurentienne a enfin pris forme; l'oeuvre de Champlain a porté ses fruits. Le magasin appartient alors à la Compagnie des Cent-Associés. Il change de mains en 1645, lorsque la Communauté des Habitants prend la colonie en charge. En 1663, il devient le « Magasin du roi » quand les Cent-Associés doivent remettre à Louis XIV leur seigneurie de la Nouvelle-France. Vingt-cinq ans plus tard, il est démoli.

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Fig.10 - Le « magasin » de Québec (vers 1635)
Dessin de J. Bourdon
Tiré de Plans of the First French Settlements on the Saint Lawrence, 1635-1642,
McGill University Library, 1958.
Photo : Steven Darby, Musée canadien des civilisations


De la reconstruction à la démolition

Dès son arrivée en 1633, Champlain fait « travailler à grande puissance à la réparation et entretien des bastiments ». Il fait « relever toutes les ruines du bruslement et démolissement [...] vuider une infinité d'ordures et pierres », tout en utilisant ce qui reste du corps principal « pour faire un magasin nouveau ». Ce magasin, « très-beau et bon », a 13 toises de long sur 22 pieds de large et 12 ou 13 de haut. Face au magasin, près du fleuve, Champlain va aménager « une belle plate-forme pour mettre trois ou quatre pièces de canon pour battre au raz de l'eau le travers de la rivière » (Note). Jean Bourdon, arpenteur du roi, arrivé l'année suivante à Québec, relèvera peu après le plan de ce nouvel ensemble (fig. 10).

D'importantes réparations sont faites au magasin en 1644. Néanmoins, la nouvelle Communauté des Habitants fait construire dès 1647 un deuxième, au nord de la place publique. Mais ce « magasin neuf » est vendu dès 1655 à un particulier. Le magasin de 1633 est donc à nouveau l'unique entrepôt de la Communauté. Vers 1666, on remplace aussi la batterie de 1633 par une autre qui est bien visible sur les plans de la ville tracés dans les années 1670.

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Fig.11 - Le « magasin » de Québec (vers 1681)
Dessin accompagnant un mémoire de Mgr Laval
Archives nationales de France, Colonies, C 11 A 5, fo 188


En 1681, l'évêché de Québec demande au roi de lui céder l'emplacement de son magasin, alors désaffecté, pour y bâtir une chapelle. L'incendie qui ravage la basse-ville en août 1682 facilite la transaction. En 1688, l'entrepreneur Claude Baillif, chargé de la construction de la chapelle, pourra démolir le « Magasin du roi », tout en réutilisant les matériaux qu'il jugera à propos. Le mur ouest de la chapelle sera élevé sur la fondation ouest arasée du magasin, et son mur sud construit à peu près au milieu de l'ancienne aile sud de celui-ci. L'aile nord, devenue propriété privée depuis 1656, sera démolie à son tour au début du siècle suivant, ce qui permettra d'agrandir la chapelle vers la place Royale et d'en dégager la façade.

Le magasin construit par Champlain aura été le lieu d'une vie intense pendant quelques décennies. Entrepôt, centre d'approvisionnement et banque, il est au coeur de toute l'activité commerciale. En outre, y logent certainement commis, sous-commis et engagés. Il sert aussi à l'occasion de salle publique. On y joue Le Cid de Pierre Corneille en 1646. Le gouverneur présidait la fête, mais ce n'était plus Champlain.

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Fig.12 - L'emplacement du « vieux magasin »
cédé au séminaire

Plan de Claude Baillif, 11 août 1685
Archives du Séminaire de Québec, Séminaire, 1, no 46


L'archéologie du site

Parmi les vestiges mis au jour par les archéologues sous l'église, la rue Notre-Dame et la place Royale, comment distinguer la part de cet ensemble dénommé « Magasin »? Lors des travaux de 1633, on a sûrement refait la superstructure de l'édifice, mais a-t-on touché à ses fondations?

L'aile sud - cet ancien magasin qui n'était plus en 1633 qu'une cave recouverte d'un « galtas » - a été rebâtie, mais nous ne savons quelle a été l'ampleur des travaux. Les quelques mètres qui en ont été retrouvés sont trop partiels pour que l'on puisse y déceler une réfection quelconque.

En ce qui concerne le corps central, il semble bien que les travaux de 1633 aient engendré une reprise des murs jusqu'à leur base à certains endroits. Les tranchées parallèles aux murs qui y ont été clairement identifiées sont beaucoup trop larges pour constituer les tranchées de construction originales. Celles-ci ont été creusées dans à peine 1 m de terrain et pour déposer une fondation d'environ 65 cm d'épaisseur. Il n'était donc pas nécessaire de les rendre aussi larges (2,5 m) que les tranchées retrouvées. En revanche, s'il s'agit de tranchées de réfection, la présence même de murs oblige à un déblaiement du sol d'une plus grande envergure. Il se peut que le corps central ait été recouvert d'une toiture en ardoise lors de ces travaux, mais il est également possible que les ardoises de la collection archéologique proviennent d'une réfection ultérieure, peut-être celle de 1644.

Quant à l'aile nord, il pourrait bien s'agir d'une construction postérieure non seulement aux travaux de 1624-1628, mais aussi à ceux de 1633-1635. En effet, le bâtiment retrouvé sur le terrain avait une cave. Or, la légende d'un des plans que Bourdon a tracé vers 1635 et d'autres documents postérieurs indiquent que cette aile a une fonction strictement résidentielle. Les principaux commis du magasin y logent jusqu'en 1656, année où elle est cédée a un particulier. Une telle fonction n'exigeait nullement la présence d'une cave. Ce bâtiment aurait-il été construit, ou du moins complètement refait, vers 1656? La stratigraphie des sols du côté sud, le côté de la cour intérieure, semble bien aller dans ce sens. La construction de ce mur de l'aile nord semble en effet avoir coupé tous les sols accumulés à cet endroit depuis la préhistoire jusques et y compris les travaux entrepris en 1633. Ceci implique que le bâtiment relevé par Bourdon vers 1635, sans doute tout neuf, a été remplacé ultérieurement par un autre, soit celui retrouvé sur le terrain. Les assises inférieures des longs murs de ce dernier sont en pierre calcaire, les autres étant constituées d'un mélange de schiste et de calcaire. Cette particularité pourrait bien confirmer une réfection complète.

Les traces que cette longue période de travaux et d'occupation intense a laissées sur la place publique sont nombreuses : rehaussement du niveau de la place avec les ruines de l'habitation, comblement des retranchements, puis démolition finale du magasin. Mais, curieusement, le grand incendie de 1682 n'est pas décelable. Les recherches archéologiques dévoilent souvent des réalités qui échappent à l'histoire, mais l'inverse n'est pas moins vrai.



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    Mise à jour : 1 September 2009