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La première bataille
contre les Iroquois
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La bataille du lac
Champlain, 1609
Illustration de Francis Back
Collection du Musée canadien des civilisations
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En 1609, une expédition guerrière amène Champlain jusqu'au lac qui
porte désormais son nom. Cette bataille va avoir un impact considérable sur
les relations entre Français et Iroquois. En s'alliant aux Montagnais, aux
Algonquins et aux Hurons, les Français se sont fait des Iroquois des ennemis
redoutables.
Récit de la bataille selon Champlain
« ... à l'entrée de la riviere des Yroquois, (le Richelieu) ... où nous
sejournasmes deux jours, & nous rafraischismes de bonnes venaisons, oiseaux,
& poissons, que nous donnoient les
Sauvages, & où il s'esmeut
entre eux quelque differend sur le sujet de la guerre, qui fut occasion qu'il
n'y en eut qu'une partie qui se resolurent de venir avec moy, & les autres s'en
retournerent en leur pays avec leurs femmes & marchandises, qu'ils avoient
traictées.
« Partant de ceste entrée de riviere ... fort belle, courant au sud ...
Toute ceste riviere depuis son entrée jusque au premier sault, (les rapides
Saint-Louis) où il y a 15. lieues est fort platte & environnée de bois, ...
Il y a neuf ou dix belles isles jusques au premier sault des Yroquois, ...
remplies de quantité de chesnes & noyers. La rivière tient en des endroits
prés de demie lieuë de large, qui est fort poissonneuse. Nous ne trouvasmes
point moins de 4. pieds d'eau. L'entrée du sault est une maniere de lac (le
bassin de Chambly) où l'eau descend, ... & y a quelques prairies où il n'y
habite aucun sauvages, pour le subjet des guerres. Il y a fort peu d'eau au
sault, qui court d'une grande vistesse, & quantité de rochers & cailloux,
qui font que les Sauvages ne les peuvent surmonter par eau mais au retour
ils les descendent fort bien. Tout cedit pays est fort uny, remply de
forests, vignes & noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient encores parvenus
jusques en cedit lieu, que nous, qui eusmes assez de peine à monter la
riviere à la rame.
Bouguignotte, vers 1600
Fabriquée en Allemagne
Collection du Musée de l’Armée, Paris, France
Photo: Steven Darby, Musée canadien des civilisations
MCC S2004-641
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[...]
« ... voyant le peu d'apparence qu'il y avoit de passer le sault avec
nostre chaloupe, cela m'affligea, & me donna beaucoup de desplaisir de m'en
retourner sans avoir veu un grandicime lac remply de belles isles, &
quantité de beau pays, qui borne le lac où habitent leurs ennemis, ... je me
resolus d'y aller pour accomplir ma promesse, & le desir que j'avois, &
m'embarquay avec les Sauvages dans leurs canaux, & prins avec moy deux
hommes de bonne volonté. ... je ne voulois forcer personne de mes compagnons
de s'embarquer, sinon ceux qui en auroient la volonté, dont j'en avois
trouvé deux, que je menerois avec moy.
[...]
Je partis dudit Sault de la riviere des Yroquois le 2. Juillet [1609]. Tous
les Sauvages commencerent à apporter leurs canaux, armes & bagage par terre
...pour passer l'impetuosité & la force du sault, ce qui fut promptement
fait.
Aussitost ils les mirent tous en l'eau, [...]
[...]
Cuirasse avec son plastron, et ses
tassettes, vers 1615 Fer
Fabriquée en Allemagne
Collection du Musée de l’Armée, Paris, France
Photo : Steven Darby, Musée canadien des civilisations
MCC S2004-642
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[...]
« ... le 29. du mois [juillet 1609] nous fismes rencontre des
Yroquois sur les dix heures du soir
au bout d'un cap ... lesquels venoient à
la guerre. Eux & nous commençasmes à jetter de grands cris, chacun se parant
de ses armes. Nous nous retirasmes vers l'eau, & les Yroquois mirent pied à
terre, & arrangerent tous leurs canaux les uns contre les autres, &
commencerent à abbatre du bois avec de meschantes haches qu'ils gaignent
quelquefois à la guerre, & d'autres de pierre, & se barricaderent fort bien.
« Aussi les nostres tindrent toute la nuict leurs canaux arrangez les uns
contre les autres attachez à des perches pour ne s'asgarer, & combattre
tous ensemble s'il en estoit de besoin; & estions à la portée d'une flesche
vers l'eau du costé de leurs barricades.
Buffletin, vers 1650
Cuire
Fabriqué en France
Collection du Musée de l’Armée, Paris, France
Photo : Steven Darby, Musée canadien des civilisations
MCC S2004-644
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Et comme ils furent armez & mis en ordre, ils envoyerent deux canaux
separez de la troupe, pour sçavoir de leurs ennemis s'ils vouloient
combatre, lesquels respondirent qu'ils ne desiroient autre chose : mais que
pour l'heure, il n'y avoit pas beaucoup d'apparence, & qu'il falloit
attendre le jour pour se cognoistre, & qu'aussi tost que le Soleil se
leveroit, ils nous livreroient le combat : ce qui fut accordé par les
nostres; & en attendant toute la nuit se passa en danses & chansons, tant
d'un costé que d'autre, avec une infinité d'injures, & autres propos, comme,
du peu de courage qu'ils avoient, avec le peu d'effet & resistance contre
leurs armes, & que le jour venant, ils le sentiroient à leur ruine. Les
nostres aussi ne manquoient de repartie, leur disant qu'ils verroient des
effects d'armes que jamais ils n'avoient veus; & tout plein d'autres
discours, comme on a accoustumé à un siege de ville. Aprés avoir bien
chanté, dancé & parlementé les uns aux autres, le jour venu, mes compagnons
& moy estions tousjours couverts, de peur que les ennemis ne nous veissent,
preparans nos armes le mieux qu'il nous estoit possible, estans toutesfois
separez, chacun en un des canaux des Sauvages montagnars [montagnais].
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Épées (1600) et
dague (1590)
Fabriquées en Allemagne
Collection du Musée de l’Armée, Paris, France
Photo : Steven Darby, Musée canadien des civilisations
MCC S2004-649
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Aprés que nous fusmes armez d'armes legeres, nous prismes chacun une
harquebuse, & descendismes à terre. Ie vey sortir les ennemis de leur
barricade, qui estoient prés de 200. hommes forts & robustes à les voir, qui
venoient au petit pas au devant de nous, avec une gravité & asseurance, qui
me contenta fort, à la teste desquels y avoit trois chefs. Les nostres aussi
alloient en mesme ordre, & me dirent que ceux qui avoient trois grands
pennaches estoient les chefs, & qu'il n'y en avoit que ces trois, & qu'on
les recognoissoit à ces plumes qui estoient beaucoup plus grandes que celles
de leurs compagnons, & que je fisse ce que je pourrois pour les tuer. Je
leur promis de faire ce qui feroit de ma puissance, & que j'estois bien
fasché qu'ils ne me pouvoient bien entendre, pour leur donner l'ordre &
façon d'attaquer leurs ennemis, & qu'indubitablement nous les desferions
tous, mais qu'il n'y avoit remede : que j'estois tres-aise de leur donner
courage, & leur monstrer la bonne volonté qui estoit en moy, quand serions
au combat.
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Défaite des Iroquois au Lac
de Champlain
Gravure
Tirée des Voyages [...] de
Champlain, 1613
Bibliothèque nationale du Canada
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Aussitost que fusmes à terre ils commencerent à courir quelque deux cents
pas vers leurs ennemis qui estoient de pied ferme, & n'avoient encores
apperceu mes compagnons, qui s'en allerent dans les bois avec quelques
Sauvages. Les nostres commencent à m'appeller à grands cris; & pour me
donner passage ils s'ouvrirent en deux, & me mis à la teste, marchant
environ 20. pas devant, jusqu'à ce que je fusse à 30. pas des ennemis, où
aussi tost ils m'apperceurent, & firent alte en me contemplant, & moy eux.
Comme je les veis esbranler pour tirer sur nous, je couchay mon harquebuse
en jouë, & visay droit à un des trois chefs, duquel coup il en tomba deux
par terre, & un de leurs compagnons qui fut blessé, qui quelque temps aprés
en mourut. J'avois mis 4 balles dedans mon harquebuse.
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Mousquet à mèche,
1630
Collection du
Musée de l'Armée,
Paris, France
Photo : Steven Darby, Musée canadien des civilisations
MCC S2004-645
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Les nostres ayans veu ce coup si favorable pour eux, ils commencerent à
jetter de si grands cris, qu'on n'eust pas ouy tonner; & cependant les
flesches ne manquoient de part ne d'autre. Les Yroquois furent fort
estonnnez, que si promptement deux hommes avoient esté tuez, bien qu'ils
fussent armez d'armes tissuës de fil de cotton, & de bois, à l'espreuve de
leurs flesches; ce qui leur donna une grande apprehension. Comme je
rechargeois, l'un de mes compagnons tira un coup de dedans le bois, qui les
estonna derechef de telle façon, voyans leurs chefs morts, qu'ils perdirent
courage, se mirent en fuitte, & abandonnerent le champ, & leur fort,
s'enfuyans dedans le profond des bois, où les poursuivant, j'en fis demeurer
encores d'autres. Nos Sauvages en tuerent aussi plusieurs, & en prindrent
dix ou douze prisonniers. Le reste se sauva avec les blessez. Il y en eut
des nostres quinze ou seize de blessez de coups de flesches, qui fuent
promptement gueris.
Aprés que nous eusmes eu la victoire, ils s'amuserent à prendre force bled
d'Inde, & les farines des ennemis, & aussi leurs armes, qu'ils avoient
laissées pour mieux courir. Et ayans fait bonne chere, dancé & chanté, trois
heures aprés nous en retournasmes avec les prisonniers. Ce lieu où se fit
ceste charge est par les 43. degrez & quelque minutes de latitude, & le
nommay le lac de Champlain.
Tiré des Voyages [...] de Champlain, 1613
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