La première bataille
contre les Iroquois


photo : Harry Foster; MCC S96-25082
La bataille du lac Champlain, 1609
Illustration de Francis Back
Collection du Musée canadien des civilisations

En 1609, une expédition guerrière amène Champlain jusqu'au lac qui porte désormais son nom. Cette bataille va avoir un impact considérable sur les relations entre Français et Iroquois. En s'alliant aux Montagnais, aux Algonquins et aux Hurons, les Français se sont fait des Iroquois des ennemis redoutables.



Récit de la bataille selon Champlain

« ... à l'entrée de la riviere des Yroquois, (le Richelieu) ... où nous sejournasmes deux jours, & nous rafraischismes de bonnes venaisons, oiseaux, & poissons, que nous donnoient les Sauvages, & où il s'esmeut entre eux quelque differend sur le sujet de la guerre, qui fut occasion qu'il n'y en eut qu'une partie qui se resolurent de venir avec moy, & les autres s'en retournerent en leur pays avec leurs femmes & marchandises, qu'ils avoient traictées.

« Partant de ceste entrée de riviere ... fort belle, courant au sud ... Toute ceste riviere depuis son entrée jusque au premier sault, (les rapides Saint-Louis) où il y a 15. lieues est fort platte & environnée de bois, ... Il y a neuf ou dix belles isles jusques au premier sault des Yroquois, ... remplies de quantité de chesnes & noyers. La rivière tient en des endroits prés de demie lieuë de large, qui est fort poissonneuse. Nous ne trouvasmes point moins de 4. pieds d'eau. L'entrée du sault est une maniere de lac (le bassin de Chambly) où l'eau descend, ... & y a quelques prairies où il n'y habite aucun sauvages, pour le subjet des guerres. Il y a fort peu d'eau au sault, qui court d'une grande vistesse, & quantité de rochers & cailloux, qui font que les Sauvages ne les peuvent surmonter par eau mais au retour ils les descendent fort bien. Tout cedit pays est fort uny, remply de forests, vignes & noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient encores parvenus jusques en cedit lieu, que nous, qui eusmes assez de peine à monter la riviere à la rame.

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Bouguignotte, vers 1600
Fabriquée en Allemagne
Collection du Musée de l’Armée, Paris, France
Photo: Steven Darby, Musée canadien des civilisations
MCC S2004-641
[...]
« ... voyant le peu d'apparence qu'il y avoit de passer le sault avec nostre chaloupe, cela m'affligea, & me donna beaucoup de desplaisir de m'en retourner sans avoir veu un grandicime lac remply de belles isles, & quantité de beau pays, qui borne le lac où habitent leurs ennemis, ... je me resolus d'y aller pour accomplir ma promesse, & le desir que j'avois, & m'embarquay avec les Sauvages dans leurs canaux, & prins avec moy deux hommes de bonne volonté. ... je ne voulois forcer personne de mes compagnons de s'embarquer, sinon ceux qui en auroient la volonté, dont j'en avois trouvé deux, que je menerois avec moy.

[...]
Je partis dudit Sault de la riviere des Yroquois le 2. Juillet [1609]. Tous les Sauvages commencerent à apporter leurs canaux, armes & bagage par terre ...pour passer l'impetuosité & la force du sault, ce qui fut promptement fait.
Aussitost ils les mirent tous en l'eau, [...]
[...]
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Cuirasse avec son plastron, et ses tassettes, vers 1615
Fer

Fabriquée en Allemagne
Collection du Musée de l’Armée, Paris, France
Photo : Steven Darby, Musée canadien des civilisations
MCC S2004-642

[...]
« ... le 29. du mois [juillet 1609] nous fismes rencontre des Yroquois sur les dix heures du soir au bout d'un cap ... lesquels venoient à la guerre. Eux & nous commençasmes à jetter de grands cris, chacun se parant de ses armes. Nous nous retirasmes vers l'eau, & les Yroquois mirent pied à terre, & arrangerent tous leurs canaux les uns contre les autres, & commencerent à abbatre du bois avec de meschantes haches qu'ils gaignent quelquefois à la guerre, & d'autres de pierre, & se barricaderent fort bien.

« Aussi les nostres tindrent toute la nuict leurs canaux arrangez les uns contre les autres attachez à des perches pour ne s'asgarer, & combattre tous ensemble s'il en estoit de besoin; & estions à la portée d'une flesche vers l'eau du costé de leurs barricades.
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Buffletin, vers 1650
Cuire

Fabriqué en France
Collection du Musée de l’Armée, Paris, France
Photo : Steven Darby, Musée canadien des civilisations
MCC S2004-644
Et comme ils furent armez & mis en ordre, ils envoyerent deux canaux separez de la troupe, pour sçavoir de leurs ennemis s'ils vouloient combatre, lesquels respondirent qu'ils ne desiroient autre chose : mais que pour l'heure, il n'y avoit pas beaucoup d'apparence, & qu'il falloit attendre le jour pour se cognoistre, & qu'aussi tost que le Soleil se leveroit, ils nous livreroient le combat : ce qui fut accordé par les nostres; & en attendant toute la nuit se passa en danses & chansons, tant d'un costé que d'autre, avec une infinité d'injures, & autres propos, comme, du peu de courage qu'ils avoient, avec le peu d'effet & resistance contre leurs armes, & que le jour venant, ils le sentiroient à leur ruine. Les nostres aussi ne manquoient de repartie, leur disant qu'ils verroient des effects d'armes que jamais ils n'avoient veus; & tout plein d'autres discours, comme on a accoustumé à un siege de ville. Aprés avoir bien chanté, dancé & parlementé les uns aux autres, le jour venu, mes compagnons & moy estions tousjours couverts, de peur que les ennemis ne nous veissent, preparans nos armes le mieux qu'il nous estoit possible, estans toutesfois separez, chacun en un des canaux des Sauvages montagnars [montagnais].


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Épées (1600) et dague (1590)
Fabriquées en Allemagne
Collection du Musée de l’Armée, Paris, France
Photo : Steven Darby, Musée canadien des civilisations
MCC S2004-649

Aprés que nous fusmes armez d'armes legeres, nous prismes chacun une harquebuse, & descendismes à terre. Ie vey sortir les ennemis de leur barricade, qui estoient prés de 200. hommes forts & robustes à les voir, qui venoient au petit pas au devant de nous, avec une gravité & asseurance, qui me contenta fort, à la teste desquels y avoit trois chefs. Les nostres aussi alloient en mesme ordre, & me dirent que ceux qui avoient trois grands pennaches estoient les chefs, & qu'il n'y en avoit que ces trois, & qu'on les recognoissoit à ces plumes qui estoient beaucoup plus grandes que celles de leurs compagnons, & que je fisse ce que je pourrois pour les tuer. Je leur promis de faire ce qui feroit de ma puissance, & que j'estois bien fasché qu'ils ne me pouvoient bien entendre, pour leur donner l'ordre & façon d'attaquer leurs ennemis, & qu'indubitablement nous les desferions tous, mais qu'il n'y avoit remede : que j'estois tres-aise de leur donner courage, & leur monstrer la bonne volonté qui estoit en moy, quand serions au combat.

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Défaite des Iroquois au Lac de Champlain
Gravure

Tirée des Voyages [...] de Champlain, 1613
Bibliothèque nationale du Canada

Aussitost que fusmes à terre ils commencerent à courir quelque deux cents pas vers leurs ennemis qui estoient de pied ferme, & n'avoient encores apperceu mes compagnons, qui s'en allerent dans les bois avec quelques Sauvages. Les nostres commencent à m'appeller à grands cris; & pour me donner passage ils s'ouvrirent en deux, & me mis à la teste, marchant environ 20. pas devant, jusqu'à ce que je fusse à 30. pas des ennemis, où aussi tost ils m'apperceurent, & firent alte en me contemplant, & moy eux. Comme je les veis esbranler pour tirer sur nous, je couchay mon harquebuse en jouë, & visay droit à un des trois chefs, duquel coup il en tomba deux par terre, & un de leurs compagnons qui fut blessé, qui quelque temps aprés en mourut. J'avois mis 4 balles dedans mon harquebuse.

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Mousquet à mèche, 1630
Collection du Musée de l'Armée, Paris, France
Photo : Steven Darby, Musée canadien des civilisations
MCC S2004-645

Les nostres ayans veu ce coup si favorable pour eux, ils commencerent à jetter de si grands cris, qu'on n'eust pas ouy tonner; & cependant les flesches ne manquoient de part ne d'autre. Les Yroquois furent fort estonnnez, que si promptement deux hommes avoient esté tuez, bien qu'ils fussent armez d'armes tissuës de fil de cotton, & de bois, à l'espreuve de leurs flesches; ce qui leur donna une grande apprehension. Comme je rechargeois, l'un de mes compagnons tira un coup de dedans le bois, qui les estonna derechef de telle façon, voyans leurs chefs morts, qu'ils perdirent courage, se mirent en fuitte, & abandonnerent le champ, & leur fort, s'enfuyans dedans le profond des bois, où les poursuivant, j'en fis demeurer encores d'autres. Nos Sauvages en tuerent aussi plusieurs, & en prindrent dix ou douze prisonniers. Le reste se sauva avec les blessez. Il y en eut des nostres quinze ou seize de blessez de coups de flesches, qui fuent promptement gueris.

Aprés que nous eusmes eu la victoire, ils s'amuserent à prendre force bled d'Inde, & les farines des ennemis, & aussi leurs armes, qu'ils avoient laissées pour mieux courir. Et ayans fait bonne chere, dancé & chanté, trois heures aprés nous en retournasmes avec les prisonniers. Ce lieu où se fit ceste charge est par les 43. degrez & quelque minutes de latitude, & le nommay le lac de Champlain.

Tiré des Voyages [...] de Champlain, 1613



Guerroyer
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    Mise à jour : 1 September 2009