Inauguré officiellement le 10 octobre 1908 à l’occasion de la première distribution postale entre Ancaster et Hamilton dans le comté de Wentworth en Ontario, le service gratuit de distribution postale en milieu rural au Canada s’inscrit au terme de longues négociations entre représentants des populations rurales en faveur de la création d’un tel service et les représentants du gouvernement investis du pouvoir décisionnel.

Le représentant du peuple le plus connu pour son engagement à cette cause est George Wilcox. En 1900, ce dernier fait pour la première fois l’expérience des avantages d’un service gratuit de distribution postale à l’occasion d’un séjour sur les terres de son fils au Michigan, États-Unis. Appelé « Rural Free Delivery », le service gratuit de distribution du courrier en milieu rural existe aux États-Unis depuis 1896. De retour au Canada, George Wilcox s’empresse de faire connaître à ses compatriotes les avantages du service américain et de réclamer l’équivalent aux autorités gouvernementales. Il publie ainsi en 1905 dans la Sentinel-Review de Woodstock une première lettre qui sera reprise dans nombre de journaux et revues du pays. Wilcox y présente plusieurs arguments soutenant l’inauguration d’un service gratuit de distribution postale en milieu rural au Canada. Il expose l’exemple du Michigan et de sa prospérité grandissante. Il fait état des répercussions économiques qu’a eues l’établissement de tels services dans l’ensemble des États-Unis et en Grande-Bretagne. Il invoque également les distances que doivent parcourir les populations rurales pour chercher leur courrier au bureau de poste. Les fermiers, dit-il, sont des gens très occupés qui devraient pouvoir bénéficier d’un service de distribution postale à domicile tout comme les gens de la ville qui, eux, bénéficient d’un service de livraison gratuite depuis 1874. Il fait valoir que les ruraux sont des payeurs de taxes au même titre que les habitants des villes et qu’ils devraient pouvoir bénéficier des mêmes services. Enfin, il argumente que le service de distribution contribuerait à briser l’isolement dans lequel se trouvent certaines communautés rurales.
De nombreuses critiques émaneront de la part d’éditeurs de journaux qui rappellent la situation déficitaire importante du service américain de distribution. Wilcox rétorquera en proposant le réinvestissement des surplus générés par le ministère des Postes dans la réalisation d’un système gratuit de distribution. Wilcox répand son message non seulement via la presse écrite mais il plaide encore sa cause auprès du ministère des Postes et, de façon plus large, auprès de tous les politiciens tant au pouvoir que dans l’opposition.

Dès 1901, le ministère des Postes se lance dans des études de faisabilité sur la question. George Ross, assistant maître de poste à Toronto, sera ainsi envoyé aux États-Unis (à Washington et au Maryland) à titre de représentant du ministre des Postes pour y étudier le service américain de distribution. Dans son rapport, Ross se déclare en faveur de l’implantation d’un service semblable au Canada. Malgré ce rapport favorable, William Mulock, alors ministre des Postes, se prononce en 1903 en faveur d’un examen davantage approfondi du système américain. Il craint en réalité que la trop grande dispersion de la population rurale sur le territoire canadien occasionne des coûts trop élevés au ministère. Il estime ainsi, en 1904, les coûts du service de distribution à 25 millions de dollars. L’année suivante, il se dit de nouveau en désaccord en évoquant les difficultés financières qu’a occasionnées ce service gratuit de distribution aux États-Unis. Mulock s’appuie sur un rapport produit par le ministère des Postes à propos du système de distribution américain. Ce rapport conclut que le seul avantage de ce service se ramène à la distribution quotidienne du journal. De plus, à l’intérieur de ce rapport, George Ross, devenu surintendant en chef des Postes (Chief Post Office Superintendant) en 1905, retire maintenant son appui au projet canadien de distribution postale en milieu rural.
Au cours de l’année 1907, le projet connaît de nombreux revirements en raison surtout des élections générales prévues pour l’année 1908. En effet, les partis politiques se disent graduellement favorables à la création d’un service gratuit de distribution postale en milieu rural afin de se rallier l’électorat. C’est ainsi qu’au cours de cette année 1907, Wilcox propose aux parlementaires d’expérimenter le service dans les localités rurales les plus populeuses du Canada, mais le ministre des Postes s’objecte à cette idée.

George Ross s’oppose aussi à l’idée. Il craint que l’établissement d’un tel service ait un effet négatif sur le commerce en milieu rural. Il croit en effet que la routine dans laquelle sont engagés de nombreux campagnards, celle de profiter de leur visite au bureau de poste pour aller vendre leurs produits au village et y faire leurs achats, soit discontinuée et que cette interruption porte préjudice au développement économique de petites localités en pleine expansion commerciale. Ross propose néanmoins un compromis, celui d’installer des boîtes aux lettres le long des routes postales déjà existantes.

Wilcox se tourne alors vers sir Robert Laird Borden, leader de l’opposition conservatrice qui, anticipant des élections, a inséré au rang de ses promesses électorales la proposition de l’inauguration d’un service gratuit de distribution postale en milieu rural; la promesse est toutefois assujettie à un examen adéquat des coûts impliqués.

Cette même année 1907 est également marquée par le ralliement de la presse écrite à la cause défendue par Wilcox. La presse qualifie d’ailleurs l’attitude gouvernementale de discriminatoire. Elle va même jusqu’à affirmer que le fermier ainsi dépourvu d’un service pourtant accordé à la population urbaine, se voit relégué au rang de citoyen de deuxième classe. La presse avait, bien entendu, un intérêt pécuniaire à l’élargissement des zones de livraison gratuite puisque la mise en opération du service en milieu rural lui permettrait de rejoindre directement et quotidiennement un plus grand nombre de lecteurs.

Enfin, au cours de l’année 1908, Wilcox réussira à se rallier la faveur du ministre des Postes. Au mois de mai, le ministre Rodolphe Lemieux se déclare favorable au principe du service gratuit de distribution postale en milieu rural sans cependant voir l’avantage de l’implanter maintenant. Puis, le 27 août, la tenue d’élections prochaines aidant, il annonce sa ferme intention d’installer des boîtes aux lettres aux portes des maisons situées en milieu rural afin d’assurer un service quotidien de distribution postale.
Wilcox sollicitera également l’appui du premier ministre du Canada, sir Wilfrid Laurier. Lors d’une réunion tenue le 15 septembre à Niagara Falls, en Ontario, à laquelle prend part Wilcox à l’invitation du ministre des Postes, il est décidé d’inaugurer sous peu un service gratuit de distribution postale en milieu rural dans l’ensemble du Canada. Le plan d’action de cette réforme postale se déroulera par étapes. Ainsi, seules les routes postales déjà existantes seront d’abord équipées de boîtes postales. Il est aussi convenu que le système prendra de l’expansion proportionnellement à la croissance que connaîtra le Canada. Le 17 septembre 1908, une circulaire est publiée à l’intention des Canadiens pour leur faire part de la nouvelle réforme postale.

Le 10 octobre 1908 a enfin lieu l’inauguration du premier service gratuit de distribution postale en milieu rural. Un groupe de 25 à 40 personnes se réunit pour souligner l’inauguration officielle de ce service sur la route postale reliant Ancaster et Hamilton dans le comté de Wentworth en Ontario. Cette première route postale le long de laquelle sont installées 37 boîtes aux lettres sera parcourue par Daniel Morrison, le premier courrier rural canadien. La première lettre transportée par Morrison proviendra de Mme W. O. Sealy, candidate libérale dans ledit comté, et elle sera destinée au ministre Lemieux pour le féliciter de l’introduction de ce service. Ces deux candidats libéraux seront d’ailleurs élus dans leurs comtés respectifs lors de la réélection du gouvernement libéral de Laurier le 26 octobre 1908. Déjà en cette fin d’octobre, environ une centaine de routes postales desservent les communautés rurales.

Stéphanie Ouellet

Sources

HILLMAN, Thomas, A. « The introduction of rural mail delivery service in Canada », conférence donnée à la BNA Philatelic Society, à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard), 18 septembre 1987.

WILCOX, George. History of Rural Mail in Canada, Ottawa, Public Affairs Canada Post, 1975.